Publié dans Conte, HOMMAGE, Lachute

Ti-Louis

Je vais vous raconter l’histoire de Ti-Louis, parce que l’histoire de Ti-Louis c’est celle des colonisateurs, de ceux qui ont bâti ce pays qu’est le Québec, à bout de bras, de peine et de grosse misère.  Depuis longtemps, je voulais écrire sur ces hommes du début du siècle qui ont fait les fondations du Québec d’aujourd’hui. 

Louis Lemerie est né en janvier 1911, à l’époque où l’honorable Wilfrid Laurier était le Premier ministre du Canada.  Nous étions Canadiens français, nous étions des  »pea soup » pour les anglais.  Louis est fils de fermier.  Il est la gloire de son père Napoléon, il est la gloire des Lemerie, car il est le premier fils de la famille après 8 filles!  Napoléon a trouvé son successeur, il est fait robuste comme lui!  Il est né pour travailler sur la terre.  Il est un cadeau de Dieu, que pensent les Lemerie.  Saint-Cyprien-de-Napierville avait Louis Cyr, maintenant St-Lin avait aussi son homme fort en Louis Lemerie, surnommé Ti-Louis par son père!

La grand-mère, la mère et les sœurs de Ti-Louis l’ont dorloté jusqu’à l’âge de 5 ans.  Le matin de ses 5 ans, Napoléon a réveillé son fils aux aurores. Il était autour de 4 h du matin, belle heure pour traire des vaches!!!  Les deux hommes ont mangé des toasts su l’poêle, des œufs, des fèves au lard, du lard pis de la graisse de rôtie su’ l’pain, du gros pain de ménage!  C’était la première journée de travail de la vie de Ti-Louis…  Après un avant-midi, de retour à la maison, il a pleuré sous la jupe de sa mère et, à l’autre bout de la jupe, sa mère pleurait aussi.

Napoléon: Ti-Louis, fa un homme de toé.  

Ti-Louis a lâché sa mère d’un coup sec, il a essuyé son nez morveux sur sa manche, il a remis sa tuque, et ainsi commença sa vie d’homme, lui, un p’tit bonhomme bas sur pattes! Que de courage pour lâcher la jupe de sa mère!  Il a fait le tour des saisons avec son père, un tour du cadran complet!  Il est capable de tout faire sur la ferme.  Il ne sait pas compter jusqu’à trois, mais il peut vous garrocher une « bale » de foin dans une barouette comme si de rien n’était!

Par un matin d’été, de bonne heure dans le matin, Ti-Louis était parti pêcher des grenouilles pas loin de la maison. Tout le monde dormait dans la maison, même son bonhomme.  La pêche avait été bonne, sa mère pis ses sœurs pourraient cuisiner des bonnes grosses cuisses de grenouille.  Sur le chemin du retour, il vit au loin de la boucane, mais quand je dis de la boucane, je dis de la boucane!  Elle provenait de la maison et de la ferme, collée sur la maison des Lemerie.  Un feu maudit qui a tout brûlé sur son passage, ne laissant que des cendres. Louis Lemerie était maintenant le dernier Lemerie vivant dans St-Lin. D’un coup, il a perdu toute sa famille. 

Orphelin de père, de mère et de huit sœurs.  Ti-Louis, même à 90 ans, s’en rappelait comme si c’était hier. Il n’en parlait presque jamais, et surtout, avec des vieux sanglots dans la voix.  Une plaie qu’on n’arrive jamais à cicatriser!  Ti-Louis, 6 ans, était sur le chemin qui le menait nulle part, pleurait et cherchait la jupe de sa mère.  

Ti-Louis a marché jusqu’au magasin général, il a raconté son histoire au boss du magasin.  Il y avait sur place un charpentier de Lachute qui écoutait la triste histoire du p’tit bonhomme.  L’homme lui a offert le gîte, lui disant que jamais il ne manquerait de manger et qu’il aurait un toit sur la tête, en échange de travail à la scierie, qu’il serait traité comme un fils!  Le charpentier Beauséjour avait tenu parole sur toute la ligne, et Ti-Louis est devenu son meilleur travailleur!

Un an après son arrivée, le vieux Cyprien Beauséjour demanda tous ses enfants, ses petits enfants, sa femme, ses cousins, ses cousines, ses frères et ses sœurs. Devant tout ce beau monde, il invita Ti-Louis dans le salon :

Cyprien Beauséjour: Mon Ti-Louis, ça fait un an que tu travailles à nos cotés, ça fait un an que tu vis comme un Beauséjour.  Tu travailles dur comme un Beauséjour.  Tu es un homme déjà, même si t’as juste 7 ans!  Aujourd’hui, devant le clan Beauséjour au complet, je te demande si tu veux être un Beauséjour toé aussi?  Ça serait un honneur pour moé d’être ton père. 

Ti-Louis a les yeux plein d’eau… c’est comme si la Rivière-du-Nord avait coulé au complet sur ses joues!  Il y a eu un long silence, le genre de silence qui n’existe plus!  Un silence qui a traversé le comté d’Argenteuil…

Ti-Louis ( les sanglots dans la voix): J’vas être fier de porter votre nom, mon père!

La joie a éclaté dans le salon de Cyprien! Les plus vieux de la famille ont fait la bascule à Ti-Louis.  Les bonnes femmes ont sorti le buffet, les enfants ont joué aux cowboys pis aux Indiens, pis les hommes ont bu dans le salon en se racontant des peurs. Une soirée mémorable pour un moment mémorable!

Quelques années plus tard…
Ti-Louis  est rendu à 14 ans et se voit offrir d’aller travailler avec son frère le plus vieux dans un  »camp » de bûcherons.  Il en rêvait d’ailleurs, il rêvait de devenir draveur et bûcheron!

Il est allé fendre du bois à Kilmar.  Nous étions en 1925 et Ti-Louis allait réaliser son rêve. Dur labeur à journée longue, batailles dans le  »camp », de la  »bucksaw »  14 heures par jour, la découverte de l’alcool frelaté, les cartes, les histoires cochonnes, les histoires de peur, l’argent, le tabac à chiquer et les filles de passe!

Après 3 ans de métier de bûcheron dans le corps, il s’en va faire de la drave dans le coin de Mont-Laurier. Nous sommes en 1929!  De billot en billot, il volait littéralement au-dessus des rivières.  Il était connu et reconnu comme Barabas dans la passion.  Sa légende avait traversé le comté de Labelle! Sa légende était aussi imprégnée dans les tavernes des hautes et des basses Laurentides.  Il était un furieux buveur et batailleur.  Il était reconnu comme un travailleur acharné et un jeune homme au grand cœur, malgré certains défauts!

Il revint à Lachute pour cause de mortalité dans sa famille…
C’était la semaine de l’exposition agricole de Lachute, la fameuse  »County Fair » qui existe depuis 1825…

Il s’inscrit au tir de câble et à la compétition de fendeur de bûche!
La rumeur avait fait sa job comme du monde, le grand Lachute était au  »County Fair » pour voir de ses yeux Ti-Louis rincer les anglais! Faut savoir que depuis toujours, Lachute est 50/50 anglais-français.  Le problème avec le tir du câble, c’est que personne ne s’inscrivait, car tous savaient que c’était perdu d’avance contre les 5 frères McKenzie de St-André!  

Ce jour-là, vrai comme je vous écris ces lignes, Ti-Louis Beauséjour s’est inscrit au concours pour justement affronter les frères McKenzie. Un problème se posa, le concours était conçu pour être 5 contre 5.  Ti-Louis dit à l’organisateur, un Canadien français comme lui :

Ti-Louis: Donne-moé la chance de leur fermer la yeule devant tout le monde!  J’veux leur montrer au  »blokes » qu’on n’est pas juste des mangeux de soupe aux pois!!! J’les prends les 5 d’une traite!

Le fameux après-midi de juillet, les McKenzie riaient à en pisser dans leurs culottes! Les 5 frères avaient bu toute la matinée, ils étaient tellement certains de faire honte à ce  »frog »…

Arrive l’heure du concours, les hommes sont présentés par l’annonceur de l’encan.  On annonce que le vainqueur va se mériter un cheval!  Ti-Louis s’avance et déclare qu’il ne veut pas de cheval ni rien d’autre, qu’il veut juste avoir le plaisir de battre des anglais! Que si les gens veulent, ils ont juste à venir lui payer une bière à l’hôtel Legault!

La foule riait, c’était l’euphorie en plein cœur de Lachute!  Certaines langues sales attendaient de voir le Beauséjour se faire planter, comme quoi même en 1929, les Canadiens français se mangeaient déjà la laine su l’dos!!!

1-2-3… c’est parti!
La légende dit que les 5 frères McKenzie se sont retrouvés sur le cul en un rien de temps. Les 5 fermiers de St-André la face dans le sable et l’orgueil qui a pris ses jambes à son cou.  Les McKenzie sont partis en lançant des roches à Ti-Louis. De là est née la fameuse légende des  »pitcheux de roches de St-André ». D’ailleurs, encore aujourd’hui, les habitants de St-André se font appeler ainsi à cause des McKenzie!

Pendant cette journée, Ti-Louis rencontra sa future femme, la belle Rose-Alma! Elle avait 14 ans et il en avait 18.  Ils ont consommé avant le mariage, trop pressés de consommer. Ils se sont aimés de 1929 à la mort de Rose-Alma en 1982, c’est-à-dire pendant 53 ans.
Trois ans plus tard, trois enfants plus tard, la ville de Lachute lui a donné un terrain pour encourager la famille!  Elle lui a donné un terrain sur  »la côte de sable », juste en arrière du fameux encan de Lachute! À bout de bras, il a monté sa maison avec une femme et trois enfants sur les bras!  Faute de pain, Ti-Louis pis sa famille ont mangé de la galette! Travailler au chantier de 5 h du matin à 5 h du soir, pis après aller bâtir sa maison jusqu’à 10 h le soir, c’était le train-train quotidien de Ti-Louis!

Il avait arrêté de se battre, sauf la fois où son frère Rosaire avait essayé d’embrasser sa femme de force lors d’une soirée bien arrosée.  Rosaire s’était retrouvé sur le cul, le nez cassé et ainsi qu’un os de la joue! Le beau maquereau s’est réveillé sur la galerie de Ti-Louis, avec le pied de Ti-Louis sur sa poitrine…

Ti-Louis: Rosaire, prochaine fois j’te tue avec mes mains.

Depuis ce jour et jusqu’à la fin de sa vie, à chaque fois qu’il a rencontré Rose-Alma, Rosaire s’est excusé!

Plusieurs années plus tard, plusieurs enfants et petits-enfants plus tard…
Mai 1982, la plus triste image et en même temps la plus belle image qui m’ait été donnée de voir!!! Nous sommes à l’église Immaculée-Conception, je suis avec mon père, ma mère et mon frère. Tous les autres Beauséjour sont sur place.  Le curé en face de nous veut commencer la cérémonie et attend que Ti-Louis s’assoit aussi avec les autres… ce sont les funérailles de Rose-Alma, ma grand-mère!!!

Ti-Louis, du haut de ses 71 ans bien sonnés, reste debout comme un vieux chêne.  Il tient la main de sa femme dans le cercueil.  Il reste debout, tout le monde le regarde. Il dit au curé:

Ti-Louis: Tu peux commencer ta cérémonie, moé j’vas rester avec ma femme pis non j’vas pas m’assir… il me reste juste une heure pour lui t’nir la main… ça fait 53 ans que j’y tiens la main… pis je vas y tenir la main jusqu’au boute faque câlissez-moé patience!!!!

Le vieux Ti-Louis est resté debout tout le long de la cérémonie, tenant la main de sa bien-aimée.  Ses vieilles jambes lui faisaient mal. Il souffrait, on pouvait le voir dans son visage!  Après une heure interminable, il a fallu qu’il lâche la main de Rose-Alma pour le reste de sa vie… Il a pris un grand respir et il a fermé lui-même de ses mains le cercueil de sa femme. Il pleurait comme le p’tit gars de 6 ans qu’il a été le jour du feu à St-Lin.  Il aurait eu besoin, à ce moment-là, de la jupe de sa mère!  Je les ai entendus dire:

–  Ti-Louis, fa un homme de toé. 
Il s’est essuyé les yeux et a suivi le cortège!

Début des années 90…

Ti-Louis se fait garder quelques fois par votre humble serviteur, pendant que son fils, dit le plein de marde, va dépenser son argent gagné durement dans une  »slot machine » de dépanneur.  J’allais fendre du bois avec le bonhomme. Sa  »shed » était d’une autre époque, tout droit descendue du début du siècle!  Il y avait dans cette  »shed » magique un  »bucksaw », une vraie hache de bûcheron (pas une hache de feluette), des bretelles pour les pantalons, des pics pour pogner les bûches, des vieilles égoïnes et des photos de Maurice Richard pis du frère André!

Il me faisait placer son bois, pis je fendais quelques bûches pour 10 piasses.  Parfois, il me parlait de son époque. C’était des grands moments de bonheur que je ne partageais avec personne, comme un cadeau qui m’était désigné, que je conservais jalousement!  

Ti-Louis était vieux, très vieux. Sa vie l’a rattrapé et ses dernières années n’ont pas été de tout repos, car son fils dit le plein de marde, qui habitait avec lui, le battait parfois et lui volait tout son argent.  Ti-Louis était trop vieux pour se défendre, il avait quand même 82 ans bien sonnés! 

La dernière fois que j’ai vu Ti-Louis, c’était à l’hôpital d’Argenteuil en 1993.  J’étais allé le voir seul, moi qui à l’époque était toujours enfermé chez nous. Ça tenait de l’exploit!  Ti-Louis était plogué de partout dans la chambre 114. Il refusait de manger, il voulait en finir. Je suis entré dans la chambre avec des pas de souris sous mes souliers… 
Il était là, à moitié mort, maigre comme jamais je l’ai vu, blanc comme un drap, et il avait perdu l’usage de la parole. Il n’avait plus rien du draveur de l’époque, ni de l’homme fort de St-Lin, ni du batailleur de taverne. Il était maintenant comme tout le monde, un mortel au bout de sa vie.  Je me suis approché et puis…

Moi: Ta belle Rose-Alma t’attend, Ti-Louis.

C’était la première fois que je me permettais de l’appeler Ti-Louis devant lui… j’étais gêné. Je lui ai donné un bec sur le front et j’ai cru voir un sourire dans sa face!  J’ai fermé la porte et, le soir même, Ti-Louis allait rejoindre sa belle Rose-Alma pour un monde qu’on dit meilleur!

Ti-Louis
-Fondateur de la côte de sable
-Bâtisseur 
-Inventeur de l’huile à bras
-Draveur
-Bûcheron
-Mangeur de graisse de rôtie
-Mâcheur de gomme d’épinette
-Batailleur à mains nues
-Signeur de x 
-Jongleur de bucksaws
-Donneur de 5 piasse 
-Bénisseur de famille
-Empileur de cordes de bois à l’infini


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Auteur :

J'suis Papa deux fois et propriétaire d'une barbe. J'suis aussi auteur, conteur, podcaster, créateur et gribouilleur. J’ai un livre à mon actif qui s’intitule «Nique à feu» et un one man show qui se titre «Les deux mains dans le folklore». J’ai aussi terminé 2e au concours de nouvelle littéraire de Radio-Canada en 2019 avec un texte intitulé Fanfan dédé ou Géant Ferré! Bienvenue dans le monde du Barbu De Ville

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